Le paysage ne consiste pas uniquement dans le plaisir bucolique de parcourir la campagne, la montagne ou la mer, ou encore dans la poésie des nuages, c’est surtout le domaine le plus politique et le plus économique qui soit. Ce bien national est en effet la plus grande entreprise publique de France et, elle procure en devises deux fois ce que rapporte l’agriculture, trois fois l’industrie de la voiture, dix fois le commerce de luxe. Les paysages sont à l’origine d’un million d’emplois directs et d’un million d’emplois indirects. Malgré cet apport considérable de richesses et leur place essentielle dans notre image nationale, qui donc aujourd’hui, chez les dirigeants politiques ou chez les responsables économiques s’en soucie ? Quels médias évoquent les sites comme un cadre de vie producteur de bien-être qui nourrit à la fois le corps et l’esprit ? Quel temps d’antenne leur est consacré au regard de celui, pourtant d’un poids négligeable, qui permet d’évoquer la vente d’une grande maison de couture ?Le livre d’Anne Fortier Kriegel, L’Avenir des paysages de France rappelle que la beauté des sites est née de l’intelligence humaine, d’un lien entre les cultures et les réalités économiques et sociales. Il est illustré par un magnifique reportage photographique inédit et original du au photographe Gérard Crossay qui permet de présenter l’art du paysage et d’inviter le lecteur au voyage à travers les pays de France. Arpentant l’espace pour en saisir les lignes de force, en percevoir les couleurs, en humer les odeurs, en toucher les matières, en écouter les musiques le paysagiste explore huit régions en cherchant à travers l’histoire et la géographie, les éléments qui fondent le génie du lieu. Cette rencontre est une quête de l’autre, d’un autre vivant, et permet d’aboutir à une synthèse propice à l’aménagement et à la qualité de la vie. Réparer, organiser et transformer chaque endroit en politesse avec le site évite la banalité infligée par les normes techniques et juridiques réglées sur la culture du supermarché et du tout-jetable. Cette vision de la modernité donne toute sa place au discernement collectif et permet de conjurer les tendances belliqueuses attachées à l’expression de la mondialisation. Si l’on admet que la lente construction des paysages a été l’un des aspects de la civilisation, la dégradation des mœurs (en particulier en ville) contribue à la dureté des relations sociales. Loin de prôner un « intégrisme » qui consisterait à ne toucher à rien, Anne Fortier Kriegel propose avec art et subtilité une manière d’aménager notre espace.

Niveau d'autorisation : Public